Sarkozy / Tapie au théâtre : Euh...

Je n'ai rien contre les "fils de". J'en connais un paquet. C'est d'ailleurs pas toujours un métier facile. Moi même, je suis un peu "fils de", puisque je fais la même chose que mes parents, qui ont chacun leur public et des gens qui les connaissent. Il y en a d'ailleurs qui m'appellent le fils Manesse, dans le milieu. Je suis pas super fan, mais bon.
Je n'ai rien contre Jean-Jean précisément. Je suis pas très amoureux de son père, mais bon, j'aime bien Julie Depardieu, par exemple. Donc, si ça se trouve, je pourrais le trouver très sympa, le petit.
Non, ce qui me déprime, c'est la glissade de plus que représente cette nouvelle pour le théâtre, le divertissement, la culture en France... vers la pipeulisation totale, la recherche de l'effet Voici, l'argument zéro, la mort de l'art.
J'ai une anecdote. L'autre jour, au milieu d'une répétition, je vois le camarade Sylvain Tempier aux prises, à la porte du Café de la Gare, avec un jeune gars un peu "ouech ouech" (c'est comme ça qu'on dit, maintenant, il paraît ?) qui lui pose plein de questions. Je m'approche pour prendre le relais, le gars, un jeune arabe plutôt beau gosse et gouailleur, veut en fait savoir si on fait des auditions, tout ça. Je lui répond qu'en général, non : on connaît le plus souvent bien assez d'acteurs pour savoir dès le début, au mieux qui va jouer dans la pièce, au pire qui on va auditionner. Et pour les spectacles de l'extérieur qui louent la salle, ben ça se passe ailleurs, on n'est pas au courant. A un moment, le type m'arrête : "Ouais, excuse-moi, je t'arrête, mais voilà : Moi, en fait, j'ai pas de thune. Et je voudrais me faire de la thune."
Evidemment, je lui réponds du tac au tac : "Choisis un autre métier". Puis, je prends le temps de lui expliquer pourquoi. Le gars avait du métier la vision qui exsude des écrans de télé, et rend un peu incompréhensible au commun des mortels les quelques pauvres mouvements d'humeur des intermittents. Pour lui, il avait eu l'idée géniale : acteur, c'était le jackpot assuré, des cachets faramineux et apparemment même pas de stage à faire avant, la possibilité d'apprendre sur le tas. Je dois bien être capable de faire ce qu'ils font à la télé, il se disait. Il a raison. Comme disait Romain Bouteille dans une de ses pièces : "les comédiens, c'est bien le diable s'il y en a un pire qu'un autre."
J'ai donc expliqué au type ce que je répète souvent ici : que c'est un métier dont il ne doit pas y avoir beaucoup plus de 5% de ceux qui le pratiquent qui en vivent. Que pour les autres, c'est des jobs de serveur à droite à gauche, une majorité de projets qui ne se monteront jamais ou sur lesquels on ne sera pas payé, des heures et des heures de perdues sur des castings où on sait très bien dès le début qu'ils finiront par prendre quelqu'un de connu (comédien ou pas)*, le regard des gens, parfois des comédiens qui bossent un peu plus (et bien souvent de la famille) qui tant que tu n'es pas passé à la télé pensent que ça n'est pas vraiment ton métier, des projets qui ont mis des années à se faire et qui se joueront trois fois, pas de structure, pas de sécurité, l'aigreur qui monte contre un public qui ira voir en masse ce que les médias lui diront de voir, parfois même en sachant déjà que ça va être nul... ce qui sera probablement le cas ici.
Je continue un peu, et le gars, qui a quand même le mérite de ne pas se laisser désarmer, continue à me poser plein de questions du genre "ça sert à quoi, un metteur en scène ?", "qu'est-ce qu'il y a d'autre comme métier dans le théâtre ?"... cherchant à tout prix à exploiter son idée jusqu'au bout. Il doit bien y avoir un job qui rapporte du fric dans ce milieu, sinon pourquoi il y aurait tellement d'intermittents ?
Alors oui, effectivement, si on est comme moi né dans un théâtre, qu'on est à la fois auteur, comédien, metteur en scène, parfois régisseur, caissier, comptable, qu'on a la chance de pouvoir monter ses pièces sans avoir à démarcher des salles pendant trois ans, de choisir les comédiens avec qui on a envie de travailler, parce qu'ils ont du talent et pas parce qu'ils ramèneront du monde dans la salle, qu'il se trouve en plus que, par chance, on a trouvé un deuxième job qui nous plaît au moins autant et qui exploite une autre de nos passions... alors oui, on peut bien gagner sa vie. Ou alors faut devenir vedette ("comment on fait ?", il m'a d'ailleurs demandé à tout hasard, le gars) et basculer dans un autre monde où tout gravite autour de soi et que je ne veux surtout pas connaître. C'est d'ailleurs une autre chose qui intrigue beaucoup les gens avec qui je peux discuter du métier, et qui m'a parfois mis en porte-à-faux avec des collègues : Ca surprend quand je dis que je ne veux surtout pas devenir "connu". Parce que la plupart des gens pensent que c'est ça, le but.
On "devient" très rarement connu, d'ailleurs. De plus en plus souvent, on l'est déjà. Comme Jean-Jean et So-so. Tout ce que je dis est sans doute un peu décousu, mais c'est le reflet de l'espèce de mélancolie sceptique dans laquelle m'a plongé cette info. Faudrait que je mette un point final à ce truc, d'ailleurs, il me reste quand même 30 pages de Preacher à traduire que j'aimerais bien finir ce soir.
Pitié, allez voir des pièces dont personne ne vous a parlé, où il n'y a personne que vous connaissez. Il y a plein de moyens d'avoir des places pas chères sur Internet. Pour les moins de 26 ans, beaucoup de théâtres (dont nous) font la place à dix euros. Il y a plus de bonnes pièces qu'on pense, là-dehors. J'espère. J'arrive pas à y aller aussi souvent que je voudrais, au théâtre.
Bon, maintenant, j'espère juste qu'il joue pas le rôle de Louis de Funès, Jean-Jean.
(Image Copyright Nouvel Obs)
* Dans un autre genre, on a quand même essayé de m'envoyer deux fois sur le même casting pour soi-disant remplacer les gars de la pub 118-218...